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Le clan de Barbasucre
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4 décembre 2007

Je republie ce texte, parce qu'aujourd'hui, je

Je republie ce texte, parce qu'aujourd'hui, je pense à elle, à lui...

Ma maman de coeur

J’ai 17 ans, je viens de rencontrer Philippe, je suis amoureuse et je pleure souvent parce qu’il aime ça me faire pleurer, ça le rassure. Il me dit qu’il ne peut pas s’en empêcher, que c’est sa façon à lui de tester l’amour des autres. Il fait pleurer sa mère aussi, puis la prend dans ses bras, lui offre des fleurs. Je ne la connais pas encore, mais il en parle souvent, il l’aime fort ça ne fait aucun doute, mais pourquoi la faire pleurer ?

Moi j’ai le cœur sur un fil, accroché au bord du vide, sur ce fil, il danse et dans son élan, semble parfois atteindre les étoiles, parfois il tombe à une vitesse vertigineuse et juste avant qu’il ne s’écrase au sol, voilà qu’il le reprend, le ramène sur le fil. Ouf ! Mais j’ai le vertige moi !

J’ai du réussir les figures imposées de haute voltige, parce que voilà qu’il me demande en mariage, il faut qu’il me présente à ses parents, ne les a pas prévenus, il est si enthousiaste, là, tout de suite, maintenant.

« Viens, tu vas les aimer, tu verras. » Je le suis, effrayée et excitée à la fois. Je le retiens parfois sur le chemin qui mène à chez lui, me réfugie dans ses bras, pour retarder ce moment. « Et s’ils ne m’aimaient pas ? » J’ai 17 ans et je crois que les maisons Phénix sont des palaces, que les boutiques « Yves Rocher » sont des parfumeries de luxe, je suis allée deux fois au cinéma, j’habite à quelques kilomètres de Paris, mais je n’y suis jamais allée et surtout, j’ai peur des gens.

Voilà, il entre, j’aperçois sa mère qui l’accueille en riant, elle m’aperçoit, son rire s’éteint. « Tu aurais pu me prévenir que tu amenais quelqu’un. » Elle a l’air ennuyée, fâchée même. Elle me dit bonjour, je me sens paralysée, incapable de répondre à un simple bonjour. Son frère passe, tête baissée, l’air renfrogné, je l’entends marmonner quelque chose « … même pas bonjour… »

Son père, italien, est volubile, il parle tellement qu’il s’aperçoit à peine que je ne desserre pas les dents. Il pose plein de questions, c’est Philippe qui répond. Quelle cruche ! Je voudrais disparaître. Je lance des regards désespérés à Philippe, mais il ne les comprend pas, il est à l’aise lui. Pourvu qu’il ne parle pas mariage maintenant.

Son père m’invite à dîner. Je m’apprête à refuser, je n’ai pas prévenu mes parents, quand sa femme s’exclame « Ah, c’est bien toi ça ! Tu invites, tu invites, et moi j’ai rien prévu ! » Son mari se fâche « Mais tu dis toujours ça, et il y en a toujours des tonnes ». Je sens que je dérange, j’ai envie de pleurer, je bredouille qu’il faut que je rentre.

Sa mère, satisfaite : « Ah, tu vois ? Elle ne peut pas rester. » Je fonds en larmes. Et là, j’ai une montagne de tendresse qui me fond dessus. Elle attrape un mouchoir, sèche mes larmes, me prend dans ses bras. Elle parle très vite « Ne fais pas attention, je suis comme ça, quand je ne connais pas quelqu’un, je suis toute perturbée, je ne voulais pas te faire pleurer, allez, on va reprendre du début, là, ça va mieux ? »

Son mari et ses fils la houspillent.

- « Non mais t’as vu ce que t’as fait avec ta sauvagerie ? »

- « T’en loupes pas une ! »

- « Alors, on mange ? »

- « Quand même, c’est une petite nature ta copine, à peine on lui dit quelque chose, elle pleure ! (ça, c’est son frère)

Elle les ignore, m’emmène à la cuisine, ferme la porte. Je ne sais plus ce qu’elle me dit, c’est une tornade, elle s’active, parle « Ah trois hommes à la maison, je te le dis, ma fille, c’est quelque chose ! » Elle a dit « ma fille » ! Elle est exubérante, ça ne veut sûrement rien dire pour elle à ce moment là, mais elle m’a prise dans ses bras, a séché mes larmes. Personne n’avait jamais fait ça pour moi, je n’ai plus du tout, mais alors vraiment plus la moindre envie de sortir de sa cuisine.

Philippe nous rejoint. - « Ca y est, vous avez fait connaissance ? » - « oui, oui, elle est mignonne cette petite, on bavarde entre femmes » - « Je suis content qu’elle te plaise, on va se marier ! » Aïe ! Non, pas maintenant, je hurle dans ma tête. Je commence tout juste à l’amadouer et il gâche tout, je vois bien que son visage s’est figé en une énorme exclamation de surprise.

Et puis elle éclate de rire. - « Mais vous avez tout le temps, vous êtes jeunes, avec quoi vous allez vivre ? » Elle rejoint son mari « Tu sais pas, ils veulent se marier » elle rit toujours. Lui, il répond : « Philippe a un travail, elle va travailler aussi, et voilà ! Ouvre une bouteille d’Asti, on va fêter ça » Les italiens aiment les mariages et les bambini.

« Allez, y a pas le feu quand même, on en parlera plus tard, le repas c’est sacré, c’est prêt et c’est l’heure !»

Philippe me raccompagne, je suis étourdie, c’est tellement loin de ce que je connais. Bruyant mais plein de gaieté, de tendresse. Vivant. Et sa mère, je l’adore. « Tu vas voir si tu la fais pleurer ! » Quelques mois plus tard, après bien des péripéties houleuses avec mes parents, le jour de mes dix-huit ans, j’emménage chez eux. J’y resterai deux ans, avant que nous trouvions notre premier appartement. Et je suis prise dans un tourbillon de vie. Christiane sort beaucoup, elle m’emmène partout. Promenades à Paris, cinéma, spectacles, salons, foires en tout genre. Je peine à suivre, souvent j’ai mal aux pieds. Elle rit « Pinocchio va ! »

Je la vouvoie mais lui donne des petits noms, ma Lili (ne me demandez pas pourquoi !) ma Christèle, je l’aime tellement qu’ils finissent par être jaloux ses hommes ! Elle, elle me dit que je suis belle, saisit le moindre prétexte pour me prendre dans ses bras, m’embrasse tout le temps. Elle s’étonne de tous ces livres que je lis « mais ça te sert à quoi tout ça ? Et pis, ça prend de la place ! » Mais si quelqu’un d’autre fait une remarque, parce que c’est vrai, je passe beaucoup de temps à lire, elle intervient « De quoi, tu t’occupes ? Tu ne peux pas comprendre, Claudine, elle est pas pareille. » Et dans sa voix, il y a comme la fierté d’une mère.

Lorsque j’ai décidé de divorcer, c’est la seule qui ait compris. Elle était désolée et triste, mais ne me l’a jamais reproché. Elle est restée dans ma vie, je la voyais souvent au début et puis je me suis remariée, alors de moins en moins souvent. Mais on s’appelait, on se voyait pour les anniversaires, certaines fêtes.

Un jour, Lucie rentrant de chez son père, me dit qu’elle doit se faire opérer, que ce n’est rien, juste une petite boule à la langue. Je m’affole, elle n’a jamais été malade, pas le moindre rhume, je l’appelle. Elle me raconte ce petit truc qui traîne depuis un moment déjà, que le généraliste lui a d’abord prescrit des bains de bouche, puis l’a envoyé voir un ORL qui lui a prescrit un autre traitement. Ca ne passe pas, ça s’empire, et l’ORL qui l’envoie gentiment sur les roses parce qu’elle se fait une montagne d’un rien.

Moi, quand elle me raconte ça, j’ai envie de lui casser la figure à ce con d’ORL, il ne sait pas qu’elle ne se plaint jamais, qu’elle ne s’écoute jamais ? Si elle s’inquiète c’est qu’il y a forcément lieu de s’inquiéter. Finalement, il s’est décidé à le lui enlever, mais il est persuadé que ce n’est rien. Elle a peur, elle me dit qu’elle est sûre que c’est le cancer, elle est si fatiguée depuis quelque temps, elle ne l’a jamais été avant, elle a maigri.

Impossible de la rassurer au téléphone, je m’organise pour les enfants, prends des congés, je ne veux pas la laisser seule dans un moment pareil. Son mari est là, mais… c’est un homme ! et ce n’est pas moi. J’apprends la nouvelle en même temps qu’elle. Il y aura une nouvelle intervention, la gorge cette fois et des séances de chimio. C’est à moi de la prendre dans mes bras, de la rassurer. Je fais la forte, lui dis que ça va aller, que la médecine maintenant… Je lui parle des sorties qu’on fera dès qu’elle sera guérie, je la couvre de cadeaux, de fleurs. Elle proteste, mais je me sens si impuissante, je voudrais retrouver une étincelle de joie même fugitive dans ses yeux.

Des mois se passent, Philippe commence à me dire qu’il faut que je me prépare à sa disparition, je ne peux pas, je nie l’évidence, je refuse le diagnostic, elle ne va pas mourir, il devrait avoir honte de ne pas y croire. Elle est forte ma Christiane, plus forte que la maladie, j’attends le miracle, je suis sûre qu’elle est capable de tout. « Tu verras, en janvier, elle viendra faire les soldes avec moi »

Un appel, un dimanche matin, c’est la sœur de Christiane. Elle s’est éteinte dans la nuit. Moi bêtement, je lui demande, « vous êtes sûre ? Elle ne respire plus ? » Elle avait appelé Philippe la veille au soir et demandé si j’étais là.

Il ne se passe pas un jour sans que je pense à elle, sa photo est dans mon salon, son sourire… J’entends encore sa voix forte résonner, ses éclats de rire… Jacky la trouvait bruyante, moi je la trouvais vivante. Elle l’est toujours, dans nos cœurs, mais elle nous manque. Parfois les enfants pleurent encore, Thomas surtout, il pense souvent à elle.

Moi quand il pleure, je suis incapable de trouver les mots, je le prends dans mes bras et je pleure avec lui.

Rédigé le 29/03/2006 à 00:20

Je complète avec un autre texte écrit ce matin en attendant ma Barbalala qu'il va me falloir tenter de consoler...

Six ans, qu’elle est partie, mais pour lui c’est comme hier. Chaque matin, il se lève, porté par des années d’habitude, mais le cœur n’y est plus… Au début, il est entouré bien sûr, tout le monde a tellement de peine, ses fils, ses petits enfants… Il la raconte, la fait revivre, fustige les médecins… Et s’ils l’avaient prise au sérieux, s’ils l’avaient soignée vite, sûr qu’elle serait encore là. Viens, on va la voir… Et chaque jour qui passe, il va se recueillir sur sa tombe, il lui parle. Parfois plusieurs fois dans la journée…

Au début tout le monde l’écoute, s’associe à sa douleur, la partage. On comprend, elle était si exceptionnelle que forcément on comprend. Longtemps, on va comprendre, l’écouter, partager. Elle manque à tous, terriblement. Et puis le temps passe, la vie continue… les oreilles se font moins attentives, plus distantes. Il faut vivre Papy !

Il ne sait plus. Bien sûr, il y a ses enfants, ses petits enfants, il les gâte. Trop… Souvent même, ils refusent, mais non papy je viens juste te voir, je n’ai besoin de rien. Il ne sait pas trop comment s’y prendre, c’était elle, la chercheuse de trouvailles, alors il sort ses billets devenus inutiles depuis que plus rien ne lui fait envie, que même pas il peut dévaliser le rayon charcuterie, depuis que les médecins ont dit que non, trop dangereux. Il passe des heures au marché devant l’étal interdit. Souvent il cède, elle n’est plus là pour veiller. Mais c’est qu’il est sarde jusqu’au bout du doigt de pied endolori par la goutte. Après il ira lui raconter, lui demander de le pardonner « mais c’est trop dur sans toi »

Et puis cette attaque. Rien de grave, les médecins sont confiants, il va se remettre. Et puis un peu plus tard… Il devrait se remettre, il faut le secouer, il se laisse aller. Barbalala lui a apporté un exemplaire du livre où son poème a été publié, ça va le rendre fier ça ! Il la reconnaît à peine, il est ailleurs déjà…

Six ans, il a essayé de rester dans la vie, un peu avec nous, beaucoup avec elle. Et puis il l’a rejointe…

De tout mon cœur, j’ai envie de croire à un ailleurs où les gens qui s’aiment se retrouvent.

Sardaigne_printemp2007_194

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Commentaires
Z
oups :(<br /> des tas de bisous et encore des bisous
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M
on est là pour partager avec toi les joies et les peines...et en ce moment ce sont les peines:chacun à sa manière t'accompagne dans ses pensées, comme tu le fais pour tes proches qui souffrent. Je ne peux pas te serrer dans mes bras, mais le coeur y est...très fort
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V
bon je vois que tu es revenue par ici... mais c'est pour un moment douloureux même si... oui, oui, l'amour est plus fort que tout et réunit ceux qui s'aiment - je sais que tu le sais mêm si dans ces moments là on a tendance à en douter<br /> <br /> gros gros bisous ma belle
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S
pensée là, pensée avec vous... c'est tout.
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S
Pas de mot à ajouter.. Mes pensées sont avec toi et tes enfants. Il l'a retrouvée.<br /> Je t'embrasse.
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Le clan de Barbasucre
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